À 34 ans, y’a du changement
Cette année, sans l’avoir vu venir, s’est opéré un changement profond. Comme une révélation. Peut-être le confinement aidant à la prise de conscience, au ralentissement et donc à la réflexion sur la vie jusqu’ici vécue, je me suis tout d’un coup rendue compte que je ne pouvais pas continuer comme cela. Aller vite, courir, sauter, faire des pas de géants dans tout, dire oui à tout sous raison que c’est fantastique d’expérimenter.
34 ans à avoir croqué la vie à pleines dents, appréciant chaque miette de manière illimitée, avec des émotions aussi grandes et intenses que la myriade d’expériences que j’ai eu. Travaillé 100h par semaine, testé tout ce qui est possible et imaginable, avec naturel et facilité mais à un coût. Une vie dont certains me disent : c’est comme si tu avais vécu plusieurs vies en une. À 34 ans, c’est comme si j’étais déjà ancienne mais aussi finie. Plus d’énergie. Plu, pas plusssss.
Tout, tout de suite
Dans le ventre de ma mère, le gynéco écoute le battement du coeur : Mmmm, eh bien, ça promet !
Mon premier mot : “foufuite”, tout de suite. Le mot d’ordre de ma vie.
Mais à 34 ans, c’est terminé. J’ai tout gobé, tout dévoré avec avidité et passion. J’ai adoré et vécu. À cent à l’heure et avec intensité. J’ai aimé apprendre (à-prendre), tout ce qui m’a paru pertinent pour grandir et étendre ma compréhension de la vie, de l’humain, du monde, de moi-même. J’ai voyagé, partout où j’ai pu, travaillé pour me payer tout cela, de tous temps, essayant plein de boulots différents (boulangère, vendeuse, prof, assistante business, babysitting, hôtesse, etc…).
J’ai pris toutes les options, tous les cours à la carte, tous les projets extra-scolaires, inventé de nouveaux quand il n’y en avait pas de disponibles, inventé des challenges qunad c’était trop monotone ou ennuyant. J’ai fait tout ce que j’ai pu, sans compter la dépense d’énergie.
J’ai toujours été fascinée par tout, par l’évolution de notre société, le bien-être aussi mais aussi et surtout notre futur et le devenir de notre planète pour les futures générations. Je suis sûrement le produit parfait de cette accélération de société mais j’ai toujours eu cette vision que l’on pouvait faire toujours mieux, toujours plus, toujours plus durable. Des idéaux, ma ligne de vie. Mais je n’avais pas remarqué que ce rythme effréné entamerait ma propre durabilité.
Start-ups et burn-outs
Après quelques années comme consultante en développement durable, quel meilleur environnement que celui des start-ups pour être à l’avant-garde de notre société et “be the change” !? Les start-ups, la course contre la montre par définition, pour sauver notre planète et rendre nos vies plus heureuses.
Un monde qui va vite, où on se bat contre le temps à chaque instant, où chaque minute compte pour prouver le produit, sa valeur, son futur. Bien sûr, nous avons réalisé l’impossible avec des équipes magnifiques, des visionnaires leaders inspirés, dans un monde où tous les professionnels étaient bluffés par notre enthousiasme, volonté et dévouement. Nous avons déplacé des montagnes et réalisé de magnifiques choses. Mais à un prix.J’ai puisé dans mes ressources d’énergie pour tirer les projets, affronter, me battre pour des visions, confronter les idées reçues et les “c’est impossible”, faire toujours mieux, prouver que chaque projet était magnifique, rentable et faisait sens. Et réussir éventuellement.
Mais j’ai dépensé cette énergie sans en comprendre la source, sans comprendre le ju-jitsu de l’énergie du monde qui nous entoure (sans opposition de force), sans comprendre les dynamiques qui se jouaient dans un paysage plus large.On ne passe pas dans le monde des start-ups sans y laisser des plumes devant les méandres sans fin des financements incertains, de leaders encore en apprentissage ou de produits qui doivent encore pivoter pour adresser un marché. Deux burn-outs plus tard, une équipe d’avocats partenaires, et des milliers de remises en question dans mon sillage, nous voici en 2020. Avec comme bagage également ces expériences à la fois magnifiques et dures, de la confiance en moi mais beaucoup de cicatrices.
Et un capital énergie à zéro ou très proche de zéro.
Pas durable
Sauf que ça ne s’arrête pas là. Je n’ai pas eu d’accident ni de maladie infectieuse à en mourir. Même si ma vie a été tellement riche que j’en éprouve une gratitude immense et je mourrais à tout moment heureuse et comblée. Mais ça ne s’arrêtait donc pas là. La vie continuait. Le temps s’écoulait. Chaque jour je me levais. Confrontation. Printemps 2020.
Voilà : après quelques semaines à faire l’école à la maison à ma fille, ma propre durabilité m’a soudain sauté aux yeux. J’étais fatiguée, plus que fatiguée malgré le plaisir à faire des choses moins compliquées que mon boulot, avec mon enfant. Je sentais une lassitude de vie que le confinement venait souligner. Je n’arrivais pas à remonter la pente. Je voulais me relever, me relever d’expériences traumatisantes mais aussi me relever dans moi-même, remettre mon énergie et ma force de leader dans le chemin, pourquoi est-ce que je ne sentais plus rien ?!!! Plus d’envie, plus de forces, plus rien. Après des années sous tension permanente, à être sur le fil du rasoir, je me suis rendue compte que je ne fonctionnais juste plus. Mais surtout : plus comme avant. C’était fini. Révolu.
34 ans d’énergie pour arriver à l’écran : Reboot nécessaire, le système vient de crasher ou plutôt, système obsolète, veuillez faire une mise à jour.
Changer de paradigme
Comment peut-on imaginer une autre manière de vivre quand on a toujours fonctionné d’une seul façon ? Comment fait-on quand son motto de vie n’est plus approprié ? Comment gérer le fait que sa manière d’être n’a plus lieu d’être ? Comment laisse-t-on derrière soi 34 ans d’une énergie de vie qui est inscrite au plus profond de son ADN ? Et qui nous a rendue heureux pendant 34 ans ? Qui nous a aussi permis de trouver notre identité et sens de vie dans ce monde ? Vers où va-t-on alors ? Si être soi-même n’a plus lieu d’être, qui est-on ?
Ces questions sont apparues. Lentement, sûrement, avec empathie. Elles n’ont pas forcé mon cerveau, elles ne m’ont pas empêché de dormir, elles ont juste accosté dans moi comme à un rivage qui n’avait pas été abordable depuis longtemps.Laissant une émotion nouvelle : me laisser entraîner par la vie, son énergie, vers l’inconnu, un autre monde de possibles, vers un vide… rassurant. Sans forcer, avec lenteur, j’ai pris conscience qu’une transition était inévitable, évidente, enclenchée, et que plus je m’y opposerai plus elle forcerait le passage car elle avait déjà assez attendu. Le reste était mort. Le voyage au-delà de moi-même était alors nécessaire.
Alors j’ai dit merci, j’ai remercié intensément pour 34 ans de vie remplie, méritée, parfaite. J’ai appris à dire au revoir, avec l’impression de laisser mon habit d’hiver au vestiaire pour rentrer dans la lumière.Je me suis remplie de gratitude pour cette énergie que j’avais eu, cette combattante en moi, merci pour m’avoir accueillie et entourée pendant tant d’années. Merci de m’avoir définie, de m’avoir donnée des ailes, de m’avoir emportée dans tant de contrées, merci pour tout. J’étais toi. Mais je suis toujours moi-même. Une page se tourne. Avec douceur et lenteur. Il est temps de ré-apprendre avec conscience comment mon énergie peut se déployer et se renouveler. Différemment. Infiniment. Je suis toujours moi mais sans l’ancien moi.
Une nouvelle ère – aire – air – erre
Cette transformation frappait à la porte depuis déjà des années. Des années où j’ai résisté malgré les signes physiques et mentaux (burn-out, stress, pathologies…). Le temps de l’acceptation n’était pas là, il n’y avait pas d’alignement alors. Pourtant mon corps le criait. Mais ma tête n’était pas ouverte pour voir cette autre réalité. Laisser partir ou s’éloigner de la combattante…
2020 fut cette année de la lenteur ou de l’accélération tout en paradoxes. Le temps du présent, de se contenter de moins, moins de sorties, moins de consommation, moins d’amis, moins de stimuli, moins de tout. Prendre le temps pour absorber chaque jour de vie, être dans son coeur, accueillir les émotions, et puisque je n’ai plus d’énergie, surfer sur chaque jour qui se présente, suivre l’énergie du moment, des autres, surfer sur leur/la vague d’énergie.J’ai alors découvert ce fameux principe du ju-jitsu, le doux maîtrise le fort, faire les choses sans opposition de force.
Laisser l’énergie épouser le mouvement, se glisser, choisir ses batailles, se concentrer. Se concentrer encore mieux, plus finement. Aller plus lentement encore – prendre les choses une par une et non plus par brassée. Se re-focaliser, se re-concentrer constamment. Apprendre à aller au coeur de l’énergie, une énergie qui vient du “faire”, de la créativité, du coeur de l’activité.Et peu à peu je me suis rendue compte que les choses avançaient, qu’à chaque fois où je “forçais”, ça explosait ! Mais quand j’épousais l’énergie des autres, attendais, tout arrivait parfaitement à point nommé, avec douceur, alignement et joie. Avec plus de conscience. De chaque côté. Pas que du mien.
Cette expérience de transformation m’a enseigné tellement de vérités plus profondes – j’ai l’impression d’avoir soudain accès à une série de lunettes où je vois en quadruple ou quintuple les choses que je voyais avant. Notamment la complexité du monde et de notre société mais aussi comment l’on construit ses barrières invisibles de notre perception du monde. Celles même que j’ai explosé en cette année 2020. Et je suis toujours moi, avec une impossibilité de retour en arrière.
2020, c’était une année de deuil et de renaissance. C’était une année qui passe ou qui casse. Il me reste cette impression en tête et dans le corps : j’ai dû m’ouvrir profondément en deux, comme des entrailles qui s’ouvrent pour accueillir des leçons de vie avec l’obligation de les absorber et aucun moyen d’y échapper. Qui résiste s’y perd, qui absorbe en sort grandi.
🙂