Escalade et grossesse, mode d’emploi
Petite guide sur la pratique de l’escalade pour la femme enceinte
Cet article a été écrit pour le magazine du Club Alpin Belge au printemps 2021.
Est-ce dans l’air du temps de voir des grimpeuses s’arrondir sur les parois ? Comparé à il y a quelques années, est-ce devenu plus en vogue de communiquer sur cette phase de 9 mois ? Nous n’en savons rien mais en tout cas, il est plus que l’heure d’en parler haut et fort et de constituer des ressources vers lesquelles se tourner quand nous accueillons un nouveau petit être au cœur de nos corps.
Contrairement à plein d’autres sports, ne serait-ce que la marche à pied, le vélo, le sport collectif ou autre, l’escalade est un sport doux, voire idéal pour la grossesse. On s’échauffe, on s’étire, on évite les à-coups, on y va à son rythme, on choisit son niveau de voie, on coordonne ses mouvements, on pousse dans l’effort si on le sent. Et avec la conscience de leur corps qu’ont les grimpeuses, l’escalade s’accorde plutôt très bien voire parfaitement à la grossesse. Voici donc une petite enquête sur le sujet.
A l’abordage
Nous voilà donc il y a quelques années déjà, à l’aube de l’ouverture de la salle d’escalade Biover à Gand. Au lieu de traîner sur les rives du lac de Blaarmeersen, nous passions plutôt notre temps à construire des voies pour la grande ouverture. Enceinte de quelques semaines alors et après une période de fatigue extrême, ça me chatouillait, ça me démangeait de grimper de nouveau : je commençais alors à re-grimper 2 fois par semaine. Je continuais jusqu’au huitième mois, pour le plaisir et pour entretenir ce corps changeant. J’aborderais ci-après les points spécifiques de la combinaison grossesse/escalade mais gardez en tête mesdames (et messieurs car c’est un sport d’équipe cette grossesse !) que pour chacune le ressenti sera différent. Pour l’une, ce sera un Stop retentissant à 5 mois par manque de confiance, pour une autre une addiction jusqu’à la dernière minute et d’une grossesse à l’autre, cela variera. Donc le maître mot du début à la fin est, sera et restera l’écoute de son corps et de son intuition.
Pour les grimpeuses très expérimentées, prolongez votre lecture par le récit de grossesse de la vice-championne de France, Caroline Ciavaldini* (une habituée des circuits de la Lead World Cup), vous y trouverez des conseils liés à des voies plus techniques et à une vie liée à l’escalade.
Rappelons bien sûr la précaution de base : la pratique de n’importe quel sport en temps de grossesse est à discuter avec votre médecin qui vérifiera les contre-indications absolues comme le diabète gestationnel, le positionnement du placenta, anémie ou autre.* Passée cette étape, à vous de jouer !
Quels muscles oui, quels muscles non ?
Comme dans tous les sports, les muscles à ne pas solliciter pendant la grossesse sont les mêmes : les abdominaux. La même règle vaut alors pour une grimpeuse confirmée que pour une amatrice. Plus on sera “gainée”, les abdominaux développés, plus on aura tendance à s’en servir et le challenge réside ici : il va falloir apprendre à ne pas les utiliser, pour qu’ils se lâchent, se relâchent, s’allongent avec souplesse et sans tension et que le bébé continue de se sentir protégé et puisse se développer, descendre et naître.
Des abdominaux très musclés vont également avoir du mal à s’ouvrir pour que le bébé prenne toute sa place par l’avant, mais aussi devoir “travailler”, s’ouvrir plus lors de l’accouchement, plus long alors. Michel Odent racontait que chez les femmes pratiquant l’équitation et ayant un gainage intense, les césariennes étaient plus nombreuses car les bébés ne “descendaient” pas. Mais pas si facile de ne plus utiliser nos chers abdominaux ?! Vous allez quand même voir qu’ils jouent et ne répondent plus trop présent dès le début, ils ont bien compris leur rôle 😉 On évitera donc quand on grimpe de “bloquer” et de s’élancer d’une prise à une autre.
J’ai personnellement trouvé passionnant de devoir changer ma technique : là où j’utilisais les abdominaux, je devais maintenant compenser par mes jambes, mes bras et trouver des astuces techniques. Mon corps changeait tellement rapidement pendant ces 6 premiers mois que je devais vraiment ne pas manquer une seule séance d’escalade car sinon je devais “travailler” beaucoup plus pour comprendre et me jouer de ces nouvelles limitations du corps.
Ce qui aidera : continuer de bien s’étirer avant-après l’effort ainsi qu’un travail de musculation douce pour les bras et jambes, sans forcer le ventre encore une fois. Attention aussi, en temps de grossesse, les articulations sont plus souples donc pour ceux qui ont des faiblesses en temps normal, prenez le compte.
Le sport pendant la grossesse est aussi connu pour la diminution des douleurs dorsales* et l’escalade, particulièrement, car elle permet de muscler le dos en compensant les abdominaux par les muscles du dos. Cela aidera aussi inévitablement pendant les dernières semaines de grossesse où le ventre se fait plus lourd et où le dos est fortement sollicité. La grimpe permet aussi de s’étirer en position verticale, cela permet d’étirer l’œsophage et de limiter les remontées d’acidité par exemple. Je vais ajouter ici que l’escalade me faisait un bien fou aux hanches, je gardais ainsi ma souplesse et mon équilibre pour me baisser, être accroupie, monter la jambe, la vriller, … Et la vie de tous les jours s’en ressentait : en plus des bonnes hormones du sport, je restais aussi flexible et vive. Malgré le fait de rétrograder en niveau 4 dans les 2 derniers mois de grossesse (ma copine me souffle que pour elle, c’était 6b jusqu’à la fin de son 8ème mois !), le corps continuait de puiser de l’énergie dans l’escalade et répondait vraiment présent à l’exercice malgré un changement de challenge drastique. Pour beaucoup d’entre nous, le plus dur sera de continuer à profiter des sensations à ce niveau qui n’est pas celui de prédilection. 😉
Est-ce que le danger guette ?
Quand on ne grimpe pas en tête, on évite les risques de chute ou de tomber sur la corde et donc de faire pression voire de causer un choc au ventre. Quand on rate une prise ou que l’on tombe en “toprope”, on part en arrière donc il n’y a pas de risques pour le ventre. J’utilisais également uniquement la grigri et laissais mon reverso favori au placard. Snif snif !
L’exercice ici est de rester dans son niveau et de le “travailler” avec de nouveaux mouvements, sans chercher des grosses difficultés qui impliquent de forcer. On mettra aussi en vacances notre désir de progresser à tout prix !
Mais revenons aux risques et les questions de tout un chacun qui pourront aussi exercer de la “pression” mentale sur la femme. N’hésitez pas à comparer avec faire du vélo en ville comme beaucoup de femmes enceintes font (et qui est bien sûr génial !) : il y a beaucoup plus de risques de chute grave et non contrôlée. 😉 Sur le même sujet, je vous invite à lire l’article de Laurence Guyon, co-fondatrice de la Fabrique Verticale, interviewant Jocelyn-William Loubriat, masseur kiné et rédacteur en chef de Kinescalade.com, l’avis d’un professionnel sur l’escalade et la grossesse post-partum.
Équipons-nous… ou pas
On a toutes et tous vu ces baudriers pour femmes enceintes au détour d’un rayon de matériel d’escalade bien avant d’être enceinte, se disant : Génial ça existe ! Mais en fait, les avis tendent tous à converger sur “As-tu eu besoin d’un baudrier spécial ? – Non, ça ne tirait pas sur le ventre car le baudrier passait sous le ventre.” L’investissement dans ce type de baudrier étant de l’ordre de 90 à 150€, pour quelques semaines, au plus quelques mois, il ne fait pas l’unanimité parmi les femmes enceintes grimpeuses que j’ai rencontrées.
Pour vous donner une idée de ce que cela donnait : mon bébé à moi était placé très bas durant toute la grossesse et cela ne m’a jamais empêché de grimper. Par contre, j’ai effectivement adapté ma descente du 6e au 7e mois : quand je descendais, je me penchais alors vers l’arrière et devais me tenir à la corde, transférant la tension abdominale dans les bras et laissant la place à mon ventre rond.
Pour assurer quelqu’un, il vaut mieux qu’il/elle grimpe dans son niveau et évite les voies avec risque de chute, histoire d’éviter le choc dans le baudrier/ventre. Pour ma part, j’ai adapté ma position quand je faisais descendre mon partenaire : à genoux pour moins utiliser mes muscles abdominaux. Mais je dus arrêter d’assurer à partir du 7e mois car le baudrier tirait trop et ne laissait plus de place au ventre. On pourrait aussi être un peu plus extrême sur ce point et proposer d’assurer le moins possible pendant la grossesse.😉 Nous n’étions toujours pas convaincus par l’achat d’un baudrier spécial à ce moment-là, donc nous avons fait avec le baudrier normal que je réglais de plus en plus grand au fur et à mesure que je grossissais – de partout ! Ahah !