Noémie la Fermetiste

Noémie la Fermetiste
Tout a commencé quand j’avais 6 ans (aussi loin que je me rappelle…). Tous les samedis matins, j’allais au marché couvert de la ville la plus proche. Et là débutait notre tournée. Les oeufs de la marchande aux bouquets, les légumes de la dame au chignon, les tomates chez la marchande bavarde, celle des pommes, les vendéens, celle des chèvres, bref, chacun son petit nom pour les repérer, sa spécialité, aller chercher chez les uns chez les autres les meilleurs produits pour avoir dans son panier et notre chariot des produits frais, des produits tordus, petits à souhait, goûteux, les premiers ou encore les derniers de la saison. Toute une histoire qu’on répétait chaque semaine. Mon petit frère et moi, on avait la responsabilité de faire la queue chez l’un ou chez l’autre et on se disputait pour y être les premiers.
A 14 ans, j’ai eu le droit d’aider à vendre chez l’une, vous n’imaginez pas mon bonheur à l’époque. De renifler les melons pour aider telle cliente à choisir pour quel repas ils seraient. De choisir certains légumes par rapport à d’autres pour tel plat cuisiné. De présenter les variétés et les goûts pour celles qui ne connaissaient pas. De jouer à la caissière, de peser, de demander poliment le prix, d’être commerçante, d’offrir aux enfants, d’arrondir, bref, tout ce qu’un petit commerçant fait sur un vrai marché.
On allait des fois en famille chez les producteurs pour des récoltes spéciales : les fruits, ou pour aller chercher les haricots blancs ou les tomates à la saison des conserves. Toute une tradition qu’on répétait d’année en année.
On avait aussi notre grand potager, où pommes de terre laissaient la place aux tomates, où salades, épinards, bettes, radis nous offraient le plus frais du frais à cueillir juste avant les repas.
J’ai eu le droit de faire mon propre potager peu après 10 ans, mon petit frère et moi on avait choisi nos variétés, regarder quand les planter, combiner aromatiques et légumes comme dans notre livre. On bichonnait notre petit carré. Mais on devait aussi aider au grand potager. Combien de kilos de pommes de terre on aura ramassé, combien de kilos de kiwis, combien de tomates épluchées, d’haricots blancs écossés, d’haricots verts ramassés ! Sur le moment ce n’était pas toujours une partie de plaisir mais maintenant quels souvenirs !
J’ai retrouvé dans les livres ces dernières années (Un jardin dans les Appalaches, de Barbara Kingsolver, Une vie pleine, de Kristin Kimball, Une année à la campagne de Sue Hubbell, etc …), cette joie d’avoir son propre potager de subsistance, cette connaissance de sa terre, du soleil, de la pluie, sa lecture du temps qu’il fait et ce que cela veut dire pour ses plantes, ses récoltes, ses prévisions.
J’ai adoré cette vie.

 

Et quand j’ai commencé à habiter en ville après des années de cantine Sodexo, j’ai direct consommé bio et fait les marchés où je choisissais mes propres produits. Je passais à l’époque pour une (très) alternative. Mais je m’en foutais, moi c’était comme ça et pas autrement.
D’année en année, le bio s’est enlevé l’étiquette “alternative” pour passer à “bobo” et “durable” et que sais-je encore. Et habitant toujours en ville, de Bordeaux à Londres, de Florence à Rotterdam, en essayant de reconnecter avec les petits producteurs locaux, j’ai rencontré cette séparation de l’urbain avec la production des campagnes. Heureusement que la Hollande eut des supermarchés bios conséquents, modernes et bien remplis mais quand j’arrivais en Belgique, il me fut vraiment impératif de trouver un système alternatif aux produits calibrés et jolis, impersonnels et pas si frais que ça des supermarchés bios. J’ai écumé les marchés fermiers mais en fait, la proximité, les horaires et ma vie chaotique, imprévisible, bref spontanée quoi ça ne collait pas.
Etant une fan de e-commerce et n’ayant plus le temps et l’énergie de déambuler des heures dans des rues surembouteillées de gens aux multiples sacs de courses, je multipliais ces dernières années mes achats en ligne dans des chaînes éthiques ou bien des commandes à la librairie du coin au lieu d’Amazon mais le tout via email. Efficace et local. Pareil pour Etsy, ne plus acheter des jouets ou meubles Ikea faits par millions mais plutôt des produits homemade faits par des mamans ayant des passions et des talents en tout genre. Une autre manière de consommer.

 

Quand ma collègue me parla d’un nouveau système de distribution de produits de producteurs locaux en ligne en même temps qu’un projet de recherche pour aider les fermiers à devenir plus durables en Belgique (quand je m’embourbais dans un boulot où mes projets étaient un peu arrêtés à cause d’évènements politiques) un regain d’énergie s’empara de moi dans mes derniers mois de grossesse. Le sens était réapparu dans ma vie. Ma mission de vie se réveillait et l’invitation était claire : ce genre de trucs, c’est mon truc, mon dada, ce qui m’éclate, me passionne. Des collègues géniaux, tous plus passionnés les uns que les autres. Des producteurs motivés, des consommateurs urbains innovants et critiques. Bref voilà comment a démarré l’aventure de Noémie la Fermetiste en Flandres, en néerlandais, mes premiers pas dans la campagne belge.
De fil en aiguille, j’ai retrouvé mes intuitions, mes feelings par rapport aux produits, ma relation producteur-vendeur et j’ai construit la position de spécialiste produits dans notre petite entreprise start-up. Etre en lien chaque jour avec les producteurs, essayant de déchiffrer leurs dialectes, comprendre leurs enjeux, leurs saisons, leur organisation, négocier quelques prix, des nouvelles portions, organiser la récolte, proposer des nouveaux produits et s’assurer que les Chefs étaient satisfaits, étonnés, ravis de leurs produits, qu’ils choisissent de semaine en semaine le meilleur, qu’ils découvrent de nouvelles gammes, qu’ils consomment plus des producteurs et moins des centrales d’achat… ça c’était mon job. Comprendre les besoins des uns, essayant d’avoir l’offre et de le proposer et de l’organiser.
Noémie la Fermetiste, c’était aussi être sur le terrain, les mains dans les légumes, se rendre compte de leur humidité, de leur odeur, de leur taille, de leur fragilité, des emballages qu’on devrait avoir ou pas, faire des erreurs, des essais, et pouvoir avancer avec quelque chose d’immense et puissant : une équipe de 6 fermetistes talentueux, passionnés et complémentaires, un réseau de 40 producteurs motivés, une bande de Chefs créatifs, critiques et exigeants.

 

Cette aventure s’est terminée avec de passionnantes conclusions pour construire les circuits courts de demain entre campagne et ville, de l’espoir d’arriver de rebondir de quelque manière que ce soit sur cette expérience et ce qui a été construit.
Ce travail m’a fait vivre avec une intensité magnifique, travailler jusqu’à 60 heures par semaine de moyenne, en même temps d’avoir un petit bébé à allaiter et à garder la moitié du temps, travailler le soir et avoir une vie débridée et sans structure qui en paniquerait plus d’un.
Pour rien au monde cette expérience ne m’a paru désuète et l’expérience gagnée m’a portée vers d’autres vents.
Un grand merci à l’équipe de choc que nous avons eu car on a vraiment mené un bateau ensemble par grand vent et dans toutes les directions possibles et imaginables. Les conséquences de cette sorte de croisade se feront ressentir longtemps après.

 

Voilà pour finir ma partie fermetiste est une facette qui est ancrée bien profondément et qui surgit de plus en plus souvent dans ma mission professionnelle d’âtre actrice de la transition vers un système alimentaire résilient. La petite fille qui s’émerveillait devant les étals de fruits et légumes continue de s’émerveiller sur les plans de production ou le catalogue de graines des producteurs. Cette petite fille qui savait reconnaître les goûts les yeux fermés gardera toujours ces souvenirs pour offrir à la ville les vrais goûts et couleurs des légumes et fruits véritables…


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